De nouvelles espèces de poissons sont apparues

 

De nouvelles espèces de poissons sont apparues

qui mangeaient les plantes abritant des nids.

Et puis de nouvelles espèces de poissons

qui mangeaient la même chose que nous.

Les poissons qui mangeaient la même chose que nous

mangeaient aussi nos petits.

Les marécages du littoral se sont transformés

en rizières, et l’eau était de plus en plus sale.

La pêche, avec ses filets en nylon,

a fait des ravages, elle aussi. Et la coupe des roseaux.

Des bateaux, de plus en plus nombreux. Et l’assassinat

du délégué à la gestion des parcs naturels.

 

 

 

À mon retour

 

À mon retour, dans un coin de la chambre,

un volcan était en éruption.

Dans un autre, un navire

était en train de faire naufrage,

et les rats l’abandonnaient.

Au centre de l’appartement, une tempête se calmait

tandis que, dans la cuisine déboisée

gonflait un essaim immobile

de moustiques-tigres ivres de malaria.

Déjà fleurissait une nouvelle agriculture,

et des lapins omniprésents

buvaient le tout dernier nectar. Et ça grouillait

de moutons et de chèvres et de chiens et de porcs.

Et de chats faméliques qui se frottaient

à des chefs muets ceints de bandeaux,

couverts de capes bariolées

et assis sur des chaises, dignes.

Mais toi, tu n’étais plus là.

 

 

 

Fable du chat et du serpent domestique

 

Un samedi, alors que la grande et belle maison était déserte, le chat et le serpent domestique tombèrent nez à nez dans la salle à manger. Le chat s’empressa de dire qu’il était hors de question d’en rester, entre eux, à de simples formules de politesse, et que ce serait fort dommage, dit-il, et il dit ceci et ajouta cela et tout en parlant, il gloussait à propos de ceci ou de cela, en un mot, il se mit à discuter avec le serpent domestique avec tant d’impertinence que c’en était surprenant. Le serpent domestique, pour sa part, supportait ces discours. Le chat, comme c’est d’usage chez ceux de son espèce, se mit à flatter le serpent domestique, et, discrètement, se vantait lui-même tout en conspuant le reste du monde.

– On prétend, dit-il sur un ton de velours, que le dessous de ton corps est blanc et lisse et brillant comme l’intérieur d’un coquillage. Je sais que c’est vrai, mais… est-ce vraiment la vérité ?

Le serpent domestique s’enroula légèrement, et ne répondit rien. Mais le chat insista :

– Tu sais, j’aimerais tout de même en avoir le cœur net. Je voudrais savoir si on n’exagère pas un peu, avec ces histoires de coquillages. Du reste, je n’ai jamais vu de coquillage marin, seulement des moules de rivière. Si tu voulais bien me montrer ton ventre, tant de choses changeraient dans ma vie !

À nouveau, le serpent domestique rampa un peu sur lui-même, timide, puis se retourna sur le dos, sans un mot. Le chat resta pétrifié, ses poils se hérissèrent, et, lentement, très lentement, il caressa de sa patte le dessous du corps du serpent, ce ventre aussi blanc, aussi lisse, aussi brillant et sec que l’intérieur d’un coquillage. Mais, par tous les dieux (veillez à éloigner les enfants !), le vil animal avait pris soin de ne pas replier sa griffe du milieu, et il éventra ainsi le serpent domestique de la tête à la queue. Il regarda autour de lui, dans la salle à manger, puis s’étira, ses poils retombèrent, et il dit :

– Ma foi, ce n’est pas un serpent domestique, c’est un serpent de noces !

Et, de fait, devant le chat s’étendait un long plat d’albâtre couvert de mets soigneusement disposés : boyaux et tripes carmin, musaraigne macérée, terrine verte de rainette et, pour finir, une poignée de petits œufs translucides, enveloppés dans une membrane encore plus transparente et qui frémissait, appétissante. Le chat se régala, puis s’en fut.

La morale de cette fable conviendra particulièrement aux gens dont on dit : « Les langues paresseuses ne goûtent jamais rien de bon. »

 

 

 

Phâsis

 

Le faisan est un tremblement de terre à rayures.

Le tremblement de terre à rayures est un faisan.

Le faisan a quelque chose à voir avec l’eau. Le faisan.

L’eau a quelque chose à voir avec le faisan. L’eau –

tout comme le passereau, la bergeronnette et le pic,

le pic vert et jaune et poilu –

est une secousse, un ébranlement, une trépidation.

C’est un tressaillement. Le faisan est un tremblement d’eau.

Le faisan bringuebale sur l’eau et tintinnabule,

il tirelire, il est tinte, déteint et tout le tintouin.

Le faisan est un buisson qui disparaît. Le buisson

est un faisan qui disparaît, un soir de printemps.

Le faisan est une eau à rayures. C’est une

eau à rayures et sauvage et couverte de bosses.

Raie du faisan. Bosse du faisan. Merveille.

Faisan – jaillissement. Faisan – cage

qui cliquète avec l’étourneau, la grive et le rouge-gorge.

Faizi-faizi-faisan, chante le faisan,

tout comme le passereau, la bergeronnette et le pic,

le pic vert et jaune et poilu.

 

 

 

La pierre retournée

 

1

galeries, gaines vides

capsule de carabe pleine

creux fermé par une toile d’araignée

 

2

pousses de porcelaine

semence-élytres, élytres-semence

limace à tête de lapereau nouveau-né

dans une éclaboussure de bave

 

3

chaînette d’éclat, racine

vibrant au-dessus de son empreinte

dans une écorce envahie par la boue

gueule arrondie, couleurs

prises dans les couleurs

 

4

carabe

insecte coléoptère carnivore

(1668, A. de Graindorge, Lettres à Huet),

emprunt au latin carabus, « sorte de crabe »

(Pline, Histoire naturelle),

du grec καραβος,

lequel donne également scarabée,

insecte coléoptère aux mœurs le plus souvent coprophages,

par le truchement du latin scarabaeus,

dans le sens d’escarbot, insecte coléoptère qui vit dans les fumiers :

Le scarabée, qu’en François nous nommons foüille merde

(C. Gruget, Diverses leçons de Pierre Messie, Lyon, 1526).

 

5

noyaux, fragments de noyaux

germes en filament de sperme

mica brun

mille-pattes, calme

 

6

corail

muscle mort

 

7

dessous la pierre

la nuée de bestioles s’est dispersée

ventres blancs qu’on dirait cuits

carapaces recourbées

noyaux, composants

 

8

gendarmes repliés

staphylin qui gigote

racine noyée

tige ventre à l’air

 

 

 

Les moules d’eau douce

 

Je ramasse des moules dans la rivière,

elles sont pleines d’une chair blême,

si pleines qu’elles en débordent ; quand je les saisis,

la chair translucide se contracte à l’intérieur.

 

Je tâche de l’aider mais je suis maladroit,

je déchire la chair sur le tranchant du bord,

il en tombe un peu, des glaires de chair

qui résonnent sur le fond comme des fragments de moldavite.

 

Je tiens dans la main ces moules lourdes,

éraflées, dorées, remplies de nacre

et de chair, je tiens dans la main ces porte-monnaie usés

remplis de tickets de caisse et de menue monnaie.

 

Je dépose les moules vides sur la jetée,

l’une à côté de l’autre, telles que je les trouve,

le soleil les sèche, sa lumière les traverse,

révélant les particularités de chacune :

 

quatre teintes de jaune ancien,

trois teintes de jaune ancien,

une zone collée, une zone collée, un peu d’ivoire,

des écailles de tortue, de la nacre, de l’étain.

 

 

 

Fragments d’une conversation à la décharge publique

 

Bonjour, je suis une bassine en tôle trouée par la rouille, je vis dans une décharge et je suis membre de l’assemblée des locataires de notre décharge. Lors de récents travaux de rénovation (étayage du flanc de la décharge, élagage des acacias et d’un érable malade, déblayage du chemin d’accès, remplacement de la pancarte portant l’inscription « Décharge publique », pose de vitres sur cinq fenêtres et recollage d’un ballon de couleur fendu issu des couches supérieures de la décharge, etc.), on a constaté que les anses des bassines en tôle étaient globalement hors service et qu’elles nécessitaient un changement immédiat. Le nombre de bassines en tôle vivant dans la décharge s’élève à 17, dont 16 ont une anse (voire deux), et je suis la seule à ne pas avoir de anse. La rénovation, y compris le remplacement des anses des bassines en tôle, a été financée par un emprunt dont le montant se répercute sur les charges mensuelles que nous devons verser, nous, les locataires de la décharge, au fonds de travaux. Est-ce que j’ai le droit à un remboursement étant donné que je n’ai pas d’anse ? Vous comprendrez qu’il me semble curieux de payer pour la réparation d’anses que je n’ai pas. Quelles démarches dois-je entreprendre ? À mon avis, le plus simple serait de calculer la somme totale facturée pour le changement des anses et de me rembourser en liquide la somme équivalente au prorata (le montant d’une anse suffit, pour ne pas donner matière à médisances dans la décharge ; du reste, c’est inévitable). Ou, éventuellement, de faire valoir un montant équivalent en procédant à la réparation de la partie droite de mon fond (deux trous d’une taille d’une pièce de monnaie ainsi que deux endroits où des trous se formeront probablement après le long hiver que nous avons cette année, y compris l’émaillage correspondant). Je vous serais très reconnaissant de donner suite à ma demande. Veuillez agréer, madame, monsieur, l’expression de mes sentiments métalliques.

 

 

Traduit par Benoît Meunier