En général, ce qu’on lit à propos de la garde alternée, c’est juste les aspects positifs. Papa m’en a montré, de ces sites web, et il n’arrête pas de me fourrer sous le nez des articles quand il en sort dans les magazines. Il me les fourre sous mon nez à moi parce que c’est moi qui lis le plus, et qui me bats le plus. Pour nous tous. Papa dit : « philosophie ». Ça veut dire « réfléchir à des idées », et moi, les idées, ça m’intéresse, même si ça ne veut pas dire que je suis d’accord avec. Parce que les idées, ça peut être de l’« idéologie », et ça, pas moyen d’être d’accord. Roubalová nous a parlé de l’idéologie « communiste ». C’est une façon de réfléchir qui est mauvaise, parce que sous le communisme, il était interdit de réfléchir autrement, et c’est pareil avec la garde alternée.

Au lieu d’aller au catéchisme et de boire après le sermon le vrai café que madame Blechová, quasi aveugle, distribuait dans son thermos, on va au festival « Nouvelles Familles ». Papa nous a dit ça ce matin, et il a ajouté que c’était « sans discussion ». Il paraît qu’on va rencontrer des gens qui sont « dans la même situation que nous », et, quand il a précisé qu’on allait tout voir « d’un point de vue différent », c’est surtout moi qu’il regardait.

– C’est moi qui monte devant, s’écrie Franta.

Par contre, il se fiche complètement de savoir où on va.

– Je monte à côté de toi, s’écrie à son tour Vojta en fourrant dans son sac à dos les BD que je lui ai données pour qu’il n’aille pas raconter que j’avais passé l’après-midi à faire des jeux vidéo pendant que lui et Franta plantaient dans une assiette de dinette des noyaux d’abricots qu’ils avaient récupéré dans une poubelle pour pouvoir vendre de la confiture l’année prochaine pendant le festival des arts de la rue.

Une idée complètement stupide, contrairement à celle de la colle à base de limace, parce que Marta s’est évidemment mise à chercher son assiette de dinette, et moi, quand j’aurai quelque chose à lui demander, je lui dirai où elle est : au-dessus de l’armoire, et remplie de terreau.

– Je monte avec vous, glapit Marta en faisant mine d’avoir préparé ses affaires : un sac en plastique rempli d’animaux en peluche à la main, elle se plante à son endroit favori, sur le pas de la porte qui mène du couloir au salon, toujours dans son pyjama couvert de taches, pour attendre le départ.

– Allez, file t’habiller, je lui dis. C’est moi qui monte devant, avec Tonda et Vojta.

Je lui donne un coup de pied, un tout petit, elle perd l’équilibre, rit puis se met à geindre en disant qu’elle ne trouve pas sa culotte.

– Il n’y a pas beaucoup de place à l’arrière, et Marta, Franta et Vojta sont les plus petits, je dis à papa pour lui expliquer pourquoi je ne monterai pas à l’arrière, sur les sièges rabattables qui sentent les poubelles qui sont dans le coffre parce que, comme toutes les fois, on va s’arrêter près des containers de tri.

Je ne vais pas quand même pas supporter les relents de barquettes de tofu qui émanent du sac à papiers.

– Bais dous, abec Bojta, on était béjà assis berrière la bernière fois, dit Franta.

– Va te moucher.

Franta s’essuie le nez dans sa manche. La marâtre soupire, et je vois bien que papa est en colère, mais il ne dit rien parce que Franta n’est pas son fils.

Marta arrive en maillot de bain, elle porte autour du cou un des colliers de la marâtre, biiip la renvoie se changer et dit à Tonda de débarrasser la table bien que chacun soit censé débarrasser ses propres couverts, d’ailleurs, je ne me souviens pas que Franta ait jamais débarrassé son bol après le petit-déjeuner.

Tonda fait s’entrechoquer les tasses, il est énervé mais ne dit rien.

– C’est Tonda et Miky qui montent devant parce que ce sont eux les plus grands, tranche papa.

Il est en train d’emballer nos gourdes et, apparemment, il ne nous a pas entendus quand on disait qu’on allait se relayer pour avoir les places de devant chacun notre tour. Il cherche les chaussettes de Vojta qui est arrivé de sa chambre en portant une paire trouée et en hurlant :

– C’est mes chaussettes préférées, et maman, elle veut bien que je les porte.

Il n’est pas content parce que papa ne l’a pas félicité alors qu’il s’est habillé tout seul. Franta n’arrête pas de répéter :

– Vojta et moi, on était déjà assis derrière la dernière fois, jusqu’à ce que biiip lui crie d’obéir à mon papa, et Franta répond :

– On s’est mis d’accord pour avoir les places de devant chacun notre tour.

Je réponds :

– N’importe quoi, parce que d’abord, mes jambes tiennent à peine sur les sièges rabattables et celles de Tonda, pas du tout, et donc c’est surtout à cause de Tonda, et quand papa déverrouille la voiture depuis la fenêtre, on se précipite tous pour s’assoir sur les sièges avant.

Marta, qui reçoit immédiatement une bourrade de Franta, tombe hors de la voiture, sur le sol, et encourage Tonda dont elle s’est entichée. Tonda, lui, abandonne rapidement, bien qu’il soit le plus fort, et aide Marta à remettre dans son sac les peluches qui en sont tombées. Franta et moi, on continue de se battre, parce qu’on ne veut ni l’un ni l’autre être au milieu. Finalement, personne n’est assis là où il voulait : au moins, c’est équitable.

– Jakub, je ne pense pas que ce soit la meilleure manière d’élever des enfants, dit la marâtre après nous avoir distribué les barres à l’ariona dès qu’on est montés sur l’autoroute, alors qu’au départ, elles étaient prévues pour le goûter, mais Vojta tape Marta, qui est toujours en train de crier qu’elle a oublié le sac contenant ses peluches sur le trottoir, à côté de la voiture, et la marâtre a dit à ce moment-là :

– On n’a pas le temps de revenir, tes animaux t’attendront, et moi, j’ai ajouté :

– Ils auront sûrement été volés par quelqu’un, et, quand j’ai dit ça, papa a accéléré et a dit à biiip de nous distribuer ces « putains de barres de céréales », et elle a fouillé dans son sac et nous les a tendues avec un mauvais sourire.

Heureusement, j’ai mon portable. On joue à tour de rôle avec Tonda, pour que je ne sois pas le seul à me faire disputer, et je repense au sous-sol, à Pavlína et Jowdy et Jirkal, et je me dis qu’eux, au moins, ils ne sont pas obligés d’aller au festival Nouvelles Familles, et, par la fenêtre, je vois mon Ikea adoré, et papa dit :

– Vous avez tous mis vos ceintures ?

Et il n’y a que Tonda et moi, et papa nous félicite.

– Autrefois, les enfants ne voyaient leur papa qu’une fois par mois, des fois, dit papa tandis qu’on quitte l’autoroute. Les enfants restaient avec leurs mamans et les papas, eux, restaient tout seuls, tout tristes.

Et la marâtre ajoute :

– Ce n’était pas juste, et ce n’était pas une bonne manière d’élever des enfants.

Je vois qu’elle masse le cou de papa pendant qu’il conduit, avec son bras de pieuvre, et je me demande au moins pour la centième fois ce qu’il peut bien lui trouver, et je repense à ce que maman disait à papa au téléphone : « Un jour, tu regretteras tout ça terriblement. »

Et jouer à Silveur m’aide à ne pas trop y penser, mais ça me fait quand même une boule dans la gorge.

J’écris un message à maman : « Maman, tu me manques, » puis je ferme les yeux et je m’appuie en arrière et je vois maman. Elle est assise sur le canapé et recoud le pantalon que je me suis déchiré au Musée des sous-sols de Prague, et même si papa a dit un jour, il y a bien longtemps : « Biiip s’occupe de vous du mieux qu’elle le peut, » elle ne nous a jamais rien recousu, et même pour Marta et Franta, c’est leur grand-mère qui s’en occupe.

Et donc, elle est paresseuse, et papa a menti pour ça aussi. Je sens que la boule dans ma gorge est en train de sortir.

– Qu’est-ce que vous en dites, vous, du fait que les papas aient les mêmes droits concernant leurs enfants ? dit une voix joyeuse qui vient de la place de papa.

– On ne pensait pas du tout au fait que les enfants ont autant besoin de leur papa que de leur maman. C’était horrible. Je ne comprends pas comment ça a pu prendre autant de temps pour que les mecs se révoltent.

La main de la marâtre descend comme un serpent de la nuque de papa, puis elle y remonte l’instant d’après. La boule est sortie, elle me brûle les joues.

On se relaie tous pour jouer à Silveur, même Franta, il n’y a que Marta qui n’arrête pas de jacasser.

– Est-ce que Tonda, Miky et Vojta sont mes frères ? elle demande.

– Qu’est-ce que ça peut bien te faire ? répond Vojta en donnant un coup de coude à Marta.

– Bien sûr que ce sont tes frères, ma puce, dit la marâtre.

– Mais seulement des demi-frères, ajoute Tonda.

– Des pas frères du tout, dit Vojta.

Papa se tourne vers la marâtre et lui chuchote quelque chose. Elle hausse les épaules.

– Le papa de Franta et Marta, c’est pas le nôtre, j’objecte.

– Si. Notre papa, c’est le vôtre aussi, glapit Marta.

– J’aimerais bien que notre papa vienne lui aussi à la maison de campagne, des fois, dit Franta.

Mon père et la marâtre se lancent un coup d’œil.

– Je ne pense pas qu’il voudrait, dit biiip.

– Ah bon ? Et pourquoi ? Il nous aime bien.

Plus un bruit dans la voiture.

– Je lui ai déjà demandé, reprend Franta. Il m’a dit que c’est toi qui ne voudrais pas. Moi, je vais lui dire que tu aimerais bien. Que tu aimerais bien que papa vienne avec nous à la maison de campagne, d’accord, maman ?

– Arrête de me donner des coups de pied !

Tonda est excédé par Marta. Elle éclate en sanglots pour la cinquième fois de la journée.

– Je veux mon papa. Je veux aller chez lui.

– Moi aussi, dit Franta tout en continuant de jouer à Silveur.

– Vous serez chez papa la semaine prochaine, dit la pieuvre.

Si seulement on pouvait déjà y être. Est-ce que quelqu’un m’entend pleurer, quelquefois ? Ohé ? Je me mets à pleurer assez fort pour qu’on m’entende. Mais le silence revient dans la voiture.

Ensuite, papa a grillé une priorité à droite, et on a bien failli avoir un carton. J’écris à maman : « On a failli avoir un accident, » et, dix secondes après, j’entends le téléphone de papa qui se met à sonner.

 

Au festival Nouvelles Familles, dans le jardin et aussi dans le grand bâtiment qui ressemblait au château du roi de Rohan, mais en plus petit, il y avait plein de choses gratuites, et, près de l’entrée, il y avait une pancarte avec écrit ce qu’on avait le droit de faire et ce qu’on n’avait pas le droit de faire, un peu comme sur la pancarte du terrain de jeux ou celle du magasin de jouets, et, pendant un moment, je me suis amusé à imaginer qu’on y était vraiment et que tout ce qu’il y avait autour de nous, ce n’étaient que des manœuvres d’entraînement pour la grande bataille contre l’empire du mal qui aurait lieu au deuxième étage. Ou bien qu’on était à un bal fétichiste qui rassemblait des créatures de toute la galaxie, parce que les « nouvelles familles », comme disait papa dans la voiture, elles peuvent être de « tous les types imaginables », et, pour commencer, j’ai failli rentrer dans trois mecs qui se tenaient pas la main, et celui du milieu portait un petit bébé fille, et, comme je les avais peut-être un peu bousculés, les deux femmes qui les suivaient m’ont souri, et, derrière chacune, il y avait un garçon et une fille, et encore derrière eux, il y avait une femme avec quatre enfants qui se tenaient par la main et faisaient le petit train, et elle, elle était toute seule. Je voulais le dire à papa et aussi lui poser des milliards de questions, mais il était sans arrêt en train de discuter avec quelqu’un, alors j’ai laissé tomber.

Vojta et Franta se sont tout de suite mis à faire la queue pour avoir de la barbe à papa et moi, j’ai décidé de faire comme eux, mais Tonda m’a pris à part pour me dire que son corset le serrait trop, et me demander si par hasard je n’avais pas pris le sien, et il voulait me l’enlever pour vérifier s’il portait un point rouge. J’ai pris la poudre d’escampette et j’ai traîné dans le jardin.

Les grands étaient en train de discuter, et je suppose que nous, les petits, on était censés discuter entre nous, enfin c’est en tout cas ce que papa m’avait dit avant qu’on arrive, il disait qu’on avait des choses en commun, mais est-ce qu’on peut vraiment foncer sur quelqu’un pour lui demander ce qu’on a en commun ? On peut, mais franchement, c’est la honte. En plus, les autres enfants, ça ne m’intéresse pas trop, et puis j’avais bien remarqué que les plus grands, depuis le début, faisaient du sabotage systématique.

Je me tenais juste derrière papa, toujours un pas ou deux, même quand il faisait la queue pour acheter une bière ou quand il était en train de remplir un formulaire qui disait à quel type de nouvelle famille on appartenait.

– À aucun. Ça, c’est pas une famille, je chuchote à papa pendant qu’il parle de nous avec d’autres adultes, comme si on était tout petits et qu’on ne voyait pas qu’il est différent quand il discute avec d’autres gens, et la marâtre, elle, elle est encore plus différente, ils n’arrêtent pas de ricaner.

Heureusement, à part Franta et Marta, biiip ne touche qu’à Tonda et Vojta, elle leur donne des claques dans le dos comme Vízner, le prof de foot de notre école. Sans Marta, qui était allée faire de la balançoire, on a pris en chasse papa et biiip, et je voyais très bien que ça tapait sur les nerfs de la marâtre, alors on a continué, on les suivait partout où ils allaient, et ils nous présentaient à tout le monde.

– Tonda, Miky, Vojta, Franta et Marta, qui est là-bas, vous la voyez ?

– Celle qui porte un petit chapeau bleu.

– Qu’elle est mignonne !

La marâtre discute avec une dame inconnue, mère de trois enfants.

– Je ne m’appelle pas Miky.

– Miky a toujours de la répartie, pas vrai, Miky.

La dame fait une tête de tableau noir tout blanc.

– Je ne m’appelle pas Miky.

– C’est ton surnom ? demande la dame.

Son mec vient de me regarder. Il a tout de suite compris ce qui se passait.

– Mais non. Miky s’appelle bien Miky, pas vrai, Miky ?

La bouche de la marâtre sourit, mais ses yeux ont peur.

– Alors comment tu t’appelles, mon petit ? Dis-nous donc, dit le mec de la dame, et je sens que papa me pousse dans le dos, juste à l’endroit où mon corset me fait mal. Je serre les dents.

– En enfer, je n’ai pas de nom.

Papa me pousse encore plus fort tandis que les adultes rigolent aux alentours.

– T’es un petit rigolo, pas vrai ? dit un type en riant.

– Comment ça, en enfer ? demande un autre.

– Chez elle.

Je désigne la marâtre.

– Elle a volé notre papa à notre maman. Elle a détruit toute la famille. Devant sa maison, il y a un carré noir, et c’est là que l’enfer commence.

Le type qui avait posé la question fait mine d’aller chercher une bière, et la dame se retourne et se met à réajuster les corsets de ses enfants, sous leurs t-shirts. Un autre type regarde la marâtre d’un air sévère. D’un seul coup, j’ai éjecté sa main de ma tête, et pendant qu’elle s’envole, je me croirais dans un film, au ralenti.

– Qu’est-ce que tu veux dire, avec ce carré noir, Miky ? Quelqu’un a écrit quelque chose, là-bas ? dit le type qui avait lancé un regard sévère à biiip, mon allié.

– La vérité. C’est ma maman. Ma maman a écrit que…

Papa me donne une bourrade de toutes ses forces. Il m’écrase l’épaule et m’emmène ailleurs en guidant mes pas. Il me pousse par derrière, je ne le vois pas, je vois juste le regard des gens pendant qu’il m’embarque, et j’entends la marâtre qui dit :

– Avec des enfants qui ne sont pas les vôtres, ce n’est pas toujours facile. Vous voyez probablement ce que je veux dire… Mais à part ça, c’est super.

Quelqu’un rit, les autres se taisent.

– Et donc, vous en avez cinq ? a demandé le type.

Et là, papa a dû penser que j’étais loin de lui, parce que je m’étais rapproché en courant, mais je l’ai entendu. Il a dit ça tout doucement, et j’ai vu biiip, je ne suis pas aveugle, se caresser le ventre à ce moment-là.

– Cinq plus un, il a murmuré.

Et quelqu’un a applaudi, comme un imbécile, et moi, j’ai fait une embardée, un peu comme un avion juste avant de se crasher, quand les bagages tombent sur la tête des voyageurs et les bombardent et tombent sur tout ce qui bouge, ça écrabouille les gens dans la carlingue de l’avion comme dans un shaker.

 

Ensuite, je suis avec papa dans un coin du jardin du Rohan, sous le cerisier, et les manœuvres d’entraînement pour la grande bataille contre l’empire du mal battent leur plein, et je sens dans ma bouche que toutes ces griottes que je viens d’avaler, elles sont terriblement acides. Je compte des yeux les noyaux desséchés dans l’herbe, puis je regarde papa et papa me regarde. Il m’a déjà tout dit. Toutes ces choses que j’avais déjà entendues mille fois. Et tout au fond du jardin, la marâtre, qui essuie son menton qui tremble dans un mouchoir.

– Tu as failli nous tuer, papa.

Papa est complètement ahuri. Il a le regard fixe. Il ne s’attendait pas à ce que je dise ça. Combien tu paries que tu ne t’y attendais pas, papa. Il avait amassé ses troupes dans le défilé, mais les miennes sont arrivées à la nage, par la rivière.

– Quoi ?

– En venant, on a failli avoir un accident. Tu t’en souviens pas ?

Ma voix s’est brisée.

– Quand tu fais une connerie, Miky, contrairement à toi, je n’appelle jamais ta mère.

– Je ne l’ai pas appelée.

– Je ne lui écris pas non plus.

– À ta mère ?

– Ne joue pas à l’imbécile avec moi.

– Je ne suis pas toi, papa.

– Hein ?

– Je ne veux pas dire par là que tu es un imbécile.

Je me mets à crier parce que papa a levé la main sur moi. Parce qu’il a voulu la lever, parce qu’il a cru que je voulais dire qu’il était un imbécile, et pourtant…

– Tu ne comprends toujours pas le comportement que tu devrais avoir à ton âge et dans ta situation.

– Quelle situation ?

– Tu es mon fils.

Je me suis gardé de lui dire que ce n’était même pas sûr, parce seules les mamans portent les bébés dans leur ventre. Les troupes de papa sont massées près de la rivière, et les miennes sont arrivées en hélicoptère.

– Tu aurais pu nous tuer.

J’ai montré biiip. Papa se taisait.

– C’est la seule chose que tu regretterais vraiment, pas vrai ?

Je prie Dieu pour que papa ne sorte pas son mouchoir de sa poche et ne me le tende pas, parce que les pleurs que je retiens en moi éclateraient et tout sortirait. Je ferme les yeux. Je sais que papa va finir par me faire promettre quelque chose.

Mais finalement, ça s’est fini autrement : il m’a promis une nouvelle trottinette, dis donc. À la place de celle qui est garée près de la rivière, là où on est montés dans la barque avec Pavlína. De toute façon, elle est certainement couverte de crottes de canards, et puis je ne me souviens pas très bien où c’était, exactement. J’en voudrais une pour faire des figures, avec des petites roues, et je suis prêt à promettre à papa tout ce qu’il voudra pour ça. Comme toujours.

 

Traduction Benoît Meunier